Affaire Halimi : une exonération de la responsabilité pénale grandement discutée

Affaire Halimi : une exonération de la responsabilité pénale grandement discutée

Publié le : 10/05/2021 10 mai mai 05 2021

Il est 4 heures du matin en ce 4 avril 2017. Paris est encore endormie lorsque Sarah Halimi est surprise dans son sommeil par son voisin, Kobili Traoré, 27 ans, qui, après être passé par le balcon de ses voisins directs, entre par effraction dans le domicile de cette dernière, la roue de coups et la jette par-dessus le balcon en criant « j’ai tué le sheitan du quartier ! » 

C’est une scène d’une violence inouïe qui réveille ce jour-là, la rue de Vaucouleurs dans le 11ème arrondissement de la capitale.

Quelques jours avant le drame, le comportement de Kobili interpelle : il ressent des bouffées d’angoisse, et, selon des témoins, semble avoir des délires paranoïaques.

Kobili fréquente les hauts lieux de l’islamisme radical parisien et il est un fervent consommateur de cannabis. Il en est d’ailleurs sous l’emprise au moment des faits.

Sarah Halimi, une retraitée de 65 ans, juive pratiquante, a été tuée à l’aube du printemps 2017 par cet homme qui, en pleine crise de démence, commet l’irréparable.

Monsieur Traoré est alors mis en examen pour homicide volontaire, enlèvement et séquestration, commis à raison de l’appartenance de la victime à la religion hébraïque.

La Cour de cassation, dans son arrêt de principe du 14 avril 2021 reprend les termes de l’article 122-1 du Code pénal qui, dans son alinéa 1er, dispose que : « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes » ; et déclare Monsieur Traoré pénalement irresponsable au moment des faits.

Cette décision a provoqué un véritable tollé médiatique et une vive émotion au sein de la communauté juive et de l’opinion publique en général.

La prise de stupéfiants, lorsqu’elle est à l’origine de troubles psychiques est-elle constitutive d’une faute ou peut-elle devenir une cause d’exonération de responsabilité pénale ? 

L’appréciation souveraine des juges du fond concernant le discernement de Kobili Traoré est unanime : au moment des faits, il a eu ce que les experts appellent « une bouffée délirante » ayant aboli son discernement, à la suite de son ivresse cannabique.

Ainsi, les bouffées délirantes sont définies par les experts médicaux comme étant : « des épisodes de délire survenant brusquement chez une personne n’ayant jamais manifesté auparavant de problème psychique de ce type. La personne atteinte n’a pas conscience qu’elle délire ; elle ne manifeste aucun recul par rapport à ses pensées et à son discours décousu. » *

La Haute juridiction n’a pas retenu la consommation de stupéfiants, facteur aggravant, mais plutôt l’effet de la bouffée délirante, générateur d’absence totale de discernement et cause d’exonération de responsabilité.

La Cour précise dans sa démonstration que : « les dispositions de l’article 122-1, alinéa 1er, du Code pénal, ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition de ce discernement. »

Or, dans son second alinéa, l’article 112-1 précise que : « la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. »

Le législateur distingue ici l’abolition et l’altération du discernement.

L’altération du discernement pourra être retenue lorsque le sujet consomme de petites quantités de cannabis de manière occasionnelle. L’abolition quant à elle sera retenue lorsque l’individu en consomme de façon régulière et en quantité. 

C’est là que le bât blesse : le second comportement qui semble être le plus répréhensible permet pourtant d’échapper à toute sanction pénale.

Ainsi, il faut nécessairement un élément moral pour caractériser la faute pénale. Or, en l’espèce, Kobili Traoré n’était pas doué de discernement au moment des faits et donc privé du contrôle de ses actes. En tuant dans un accès de folie, il ne commet donc pas un meurtre stricto sensu.

À la suite de cette affaire, le garde des Sceaux a annoncé l’établissement prochain, d’un projet de loi afin d’apporter des modifications au Code pénal au sujet de l’irresponsabilité.

Il ne reste pour les parties civiles désirant voir la culpabilité de Monsieur Traoré reconnue que la possible application au cas d’espèce de la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

Ce texte permet de distinguer l’aptitude à être jugé sur le fondement de la responsabilité pénale.

A ce titre, un individu reconnu pénalement irresponsable pour cause de trouble mental pourra voir inscrire sur son casier judiciaire le crime qui lui a été reproché au regard de sa culpabilité certaine, bien qu’il soit pénalement irresponsable.


Léa Padovani, Junior Légal Content Manager - Azko

Référence de l'arrêt : Cass. crim 14 avril 2021 n°20-80.135

*A noter qu’une bouffée délirante peut s’inscrire dans la durée, et se compter en heures, en jours voire en semaines.

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